HYMNE

 

Je suis triste, Seigneur ! — Au couchant, tu as déversé
Pour moi tout l’éclat des couleurs de l’arc-en-ciel ;
Devant moi, tu éteins, dans l’eau azurée,
        Le soleil en feu…
Bien que tu dores ainsi ciel et mer
        Je suis triste, Seigneur !

Tels les épis vides, je me tiens, la tête haute,
Insatisfait, sans joie…
Pour les autres, j’ai un visage uniforme
        Avec le calme du ciel bleu,
Mais devant toi, j’ouvre le fond de mon coeur,
        Je suis triste, Seigneur !

Comme l’enfant se plaint du départ
De sa mère, ainsi je suis prêt à pleurer
En regardant le soleil qui me renvoie des flots
        Ses dernières lueurs…
Demain, je le sais, brillera une nouvelle aube,
        Je suis triste, Seigneur !

Aujourd’hui, errant en haute mer,
Cent lieues de la côte de départ et cent lieues de l’arrivée,
J’ai vu le vol aérien des cigognes,
        En longues rangées…
Comme je les ai connues en terre polonaise,
        Je suis triste, Seigneur !

Comme j’ai souvent médité sur les tombes des hommes
Comme je n’ai presque pas connu la maison familiale,
Comme j’ai été pareil au pèlerin qui peine
        Sous les éclairs et sous la foudre,
Comme je ne sais dans quelle tombe je reposerai,
        Je suis triste, Seigneur !

Toi, tu verras mes ossements blancs,
Confiés à une tombe sans colonnes frontales,
Homme seulement, je suis comme celui qui envie
        La poussière des tombes…
Et puisque mon repos ne sera pas paisible
        Je suis triste, Seigneur !

Dans mon pays, on fait prier pour moi
Tous les jours, un enfant innocent… et pourtant
Je sais que mon navire, qui parcourt le monde,
        Ne vogue pas vers mon pays,
Et parce que la prière de l’enfant ne peut rien
        Je suis triste, Seigneur !

Cette éclatante gamme de couleurs que tes anges
Ont étendue sur l’immense ciel,
Dans cent ans, la contemplant après moi, des gens nouveaux
        Mourront — quelque part…
Avant de m’humilier devant mon néant,
        Je suis triste, Seigneur !

 

Écrit au coucher du soleil, en mer, devant Alexandrie, octobre 1836 (?).

Traduit par E. M.