Juliusz Slowacki
Poète polonais. Né à Krzemieniec le 4 septembre 1809, mort à Paris le 3 avril 1849. Il était le fils d'un professeur de lettres au lycée de sa ville natale qui avait traduit la Henriade et avait composé deux tragédies. Sa mère, née Salomeja Januszewska, était une femme d'esprit supérieur que son fils consulta toujours sur ses ouvrages. Slowacki fut un enfant précoce qui, dès l'âge de huit ans, demandait à Dieu « de le faire poète et de lui donner la gloire après sa mort ». À dix-huit ans, il vivait une grande passion ; à vingt, c'était un grand poète, et il n'avait pas quarante ans lorsqu'il mourut, laissant une oeuvre qui devait lui survivre. Son destin fut rapide et fulgurant, ses passions intenses. À dix-sept ans, Slowacki publiait son Elégie ukrainienne [Duma ukrainska] d'inspiration byronienne. Sa jeunesse rêveuse et maladive fut marquée par l'affection d'une mère sensible, puis par son amitié pour un camarade qui se suicida - Slowacki évoquera ce temps dans Heures de réflexion, - enfin par son amour, non partagé, pour une jeune fille, Luiza Snadiecka, fille d'un savant célèbre. Ces deux expériences douloureuses développèrent chez le jeune homme une réflexion précoce et profonde qui pour toujours le laissera insatisfait devant la vie et marquera ses poèmes d'un caractère âpre et désolé. À vingt ans, cependant, après avoir achevé ses études de droit, il entre, grâce à la protection du prince Lubecki, au ministère des Finances : il publie alors deux drames, Mindowe et Marie Stuart. À peine est-il installé à Varsovie que la révolution y éclate. Slowacki y adhère avec enthousiasme et il est chargé par le gouvernement national d'une mission en Angleterre. Pendant son absence, Varsovie est prise et, apprenant que « l'ordre y règne », il restera désormais en exil comme Mickiewicz, Krasinski et d'autres. En 1832, il s'installe à Paris où il reprend son activité littéraire. Jusqu'à cette époque, les oeuvres qu'il avait composées, Le Serpent [zmija], Jan Bielecki, Hugo, Le Moine [Mnich], Mindog, étaient nettement influencées par la poésie de Byron et se rattachaient au mouvement romantique. Cependant, dans Le Serpent et dans Le Roi de Ladava perce déjà l'originalité du poète. Ces deux oeuvres marquent le début de sa profonde inspiration nationale.
En 1832, il publie Lambro où, sous le couvert de la libération de la Grèce, c'est celle de son propre pays qu'il chante. Cependant, là encore, l'exemple de Byron est sensible, il disparaîtra des oeuvres suivantes. En 1833, Slowacki fit un séjour à Genève, et en 1834 parut Kordjan, histoire d'une conjuration contre Nicolas Ier où, dégagé des influences précédentes, le génie du poète paraît dans sa véritable singularité. À Genève, il fréquentait des milieux intellectuels très variés où étaient représentés tous les courants d'idées de l'Europe. Il passa là quelques années tranquilles, et ramena le poème En Suisse [W Szwajcarii]. De 1836 à 1838, il effectua un long voyage en Orient (Grèce, Égypte, Palestine) et, de passage à Rome, il rencontra le poète Krasinski avec lequel il restera lié d'amitié jusqu'à sa mort ; à Florence, il connut et aima Angela Moszenka. En Italie parurent Voyage en Terre sainte [Podroz na Ziemi Swietej], La Tombe d'Agamemnon [Grob Agamemnona], Je suis triste, ô Dieu [Smutno mi Boze]. De retour à Paris il publie, en 1839, Anhelli, ainsi que Béatrice Cenci, Mazeppa, Balladyna, Horsztynski, poèmes où apparaît sa volonté de rattacher la situation présente de la Pologne aux grands événements de l'histoire nationale. En 1840 paraît le drame Lilla Veneda, en 1841, Jan Beniowski où, pour la première fois, s'expriment certaines préoccupations philosophiques de Slowacki. C'est en juillet 1842 qu'il rencontre Towianski, avocat de Wilno émigré à Paris. Celui-ci professait une sorte de messianisme néo-chrétien qui eut une influence sur l'orientation de Slowacki. Déjà marqué par ce courant paraît en 1843 L'Abbé Marc [Ksiadz Marek], oeuvre patriotique et messianique. Par la suite, Slowacki remontera jusqu'aux sources authentiques qui inspiraient cette doctrine, Plotin et saint Augustin. De cette période datent deux oeuvres : Genèse de l'esprit [Genezis z ducha] et Le Roi Esprit (1847), cette dernière restée inachevée, marquées par la philosophie platonicienne. En 1848, Slowacki, déjà malade, se rendit à Poznan où le Comité national projetait une insurrection, qui échoua. Il eut le temps de passer huit jours avec sa mère à Breslau avant d'être expulsé par la police allemande. Sa mère repartie pour la Galicie, il rentra à Paris où il mourut peu de temps après son retour. L'oeuvre de Slowacki est marquée par une ironie poignante et une sensibilité douloureuse; dans ses ultimes manifestations, elle dépasse le romantisme qui, d'abord, l'avait inspirée, pour rejoindre Edgar Poe, voire même Lautréamont, ainsi qu'en témoignent certains passages de La Genèse spirituelle, telle cette invocation : « Vieil océan, dis-moi comment se passèrent au fond des ondes les premiers mystères de l'organisme, les premiers développements de ces fleurs de nerfs d'où vint à s'épanouir l'âme. » Après sa mort parut un recueil de ses oeuvres (Leipzig, 1862, 4 vol.) suivi de ses Écrits posthumes [Pisma posmiertne, Lwow, 1866, 3 vol.].
MARINA BERSANO BEGEY
« Nous distinguons en Slowacki quelque chose qui l'apparente à la figure - passée comme un météore - du grand prédécesseur de Shakespeare, Christopher Marlowe. C'est un poète dramatique d'une force et d'une passion titanesques, mais trouvant en soi une source constante de mélodie lyrique, qui dispense ses flots de musicalité à travers toute sa production dramatique. » (R. Dyboski.)
RÉF.: Ch.-Edm. Chojecki, La Pologne captive et ses trois poètes : Mickiewicz, Krasinski, Slowacki, Leipzig, 1864. - G. Sarrazin, Les Grands Poètes romantiques de la Pologne, Paris, 1906. - Juliusz Kleiner, Juliusz Slowacki, dzieje tworczosci, 4 vol., Lwow, 1924-27. - V. Lednicki, « Jules Slowacki » in Revue de l'université de Bruxelles, t. I, Bruxelles, 1926-27. - S. L. Zaleski, « J. Slowacki, l'ouvrier de Dieu », in Mercure de France, Paris, 1927. - Ed. Krakowski, Trois destins tragiques: Slowacki, Krasinski, Norwid, Paris, 1931. - J. Bourrilly, La Jeunesse de J. Slowacki, Paris, 1960.
Tiré de: Nouveau dictionnaire des Auteurs, coll. « Bouquins », Robert Laffont.